Le silence autour d'elle était apaisant. Pas un murmure, pas un bruit, rien que le bruit – si lointain – d'un ruisseau qui coule. Quand ses yeux s'ouvrent sur la forêt qui l'entoure, River se sent bien. Elle n'a pas besoin de regarder autour d'elle pour savoir ce qu'il y a. Elle connaît les lieux par cœur. Elle les a visité cent fois. Mais ce n'est pas ici qu'elle veut aller. Ce n'est pas ici qu'elle a besoin d'aller. Assise en tailleurs, elle se lève pour quitter la forêt paisible. Elle peut entendre les branches mortes craquer sous ses pieds nus, et sentir l'humus se loger entre ses orteils jusqu'à ce qu'elle franchisse un nouveau pas. La lumière qui l'agresse lorsqu'elle arrive dans la clairière brûle sa rétine, et réchauffe sa peau pâle. Son regard s'arrête sur le kiosque qui se tenait face à elle. Il s'avérait plutôt modeste par la taille, mais n'en restait pas moins étonnamment riche. Sa base était faite de marbre de Yule, d'un blanc éclatant, avec des rebords sur le haut. L'escalier était également taillés dans la même matière, là où les colonnes venant soutenir le toit prenaient forme dans du fer forgé noir et mat, solide, tout comme la barrière en faisant le tour, décoré de dorures à l'aspect royal. Des roses dorées. Les tuiles qui surmontaient la structure arboraient un gris bleuté un peu brillant et encore humide d'une pluie récente.
L'adolescente s'approcha des marches et les monta avec précaution, en soulevant la robe qu'elle portait avec délicatesse. Le tissu ne pesait rien sur ses épaules, comme s'il avait été fait d'air. Sa main passa au dessus de la rampe sans la toucher, comme si elle avait eu peur que ça la brûle. La fraîcheur du marbre en revanche semble remonter le long de son corps à travers ses pieds nus ; ses poils se dressent sur ses avant-bras et sur sa nuque, elle a la chair de poule. Ses yeux se baissent sur le sol du kiosque lorsqu'elle arrive en haut. Une rosace a été formée de dalles rouges et blanches, bordés finement de marbre de Theux, noir. Dessus reposait un violon et un archet qu'elle vint saisir avec grâce de ses deux mains expertes.
Elle coinça l'instrument entre son menton et son épaule, dégagea des mèches de cheveux bruns vers l'arrière, l'ajusta rapidement après en avoir fait sortir quelques notes. Puis dans un souffle, après avoir positionné ses doigts et son archet, la musique s'éleva. Et la magie opéra.
Un bruit sourd retentit, comme un mécanisme qui s'enclenche, et avec lenteur, le sol sous les pieds de la jeune femme s'enfonça dans les profondeurs de la terre. Et elle disparu avec.
Ses yeux fermés ne voyaient pas le noir qui l'emprisonnait lentement, et son cœur battait au rythme de la mélodie qui s'élevait de son violon. Sa tête se balançait légèrement, et avec elle ses boucles sombres qui roulaient sur ses épaules à moitié découvertes par sa robe. Le rythme l'entraînait au loin, et lorsque finalement elle s'arrêta, tout s'éclaira autour d'elle.
Un long couloir s'étendait à perte de vue, délabré, illuminé de néons défectueux qui clignotaient faiblement à certains endroits. Elle laissa tomber le violon, qui disparu sans produire le moindre bruit, comme s'il n'avait jamais existé, et elle observa autour d'elle.
Et finalement une question émergea dans son esprit.
Qu'étais-je venue chercher déjà ?
Elle l'écarta d'un geste de la main au dessus de sa tête, où les mots semblaient être apparus, comme s'ils avaient été un moustique qui tournaient autour d'elle. Elle s'avança avec précaution, un pied devant l'autre, un peu penchée en avant. Elle se dirigea vers une porte, silencieusement. La première qui venait. La peinture blanche était écaillée, et les moulures fissurées. Elle passa deux doigts sur l'encart qui se trouvait dessus, mais qui était vierge, comme jamais utilisé. Dans un souffle elle posa sa main sur la poignet patinée, usée, et d'un autre souffle elle la tourna pour l'ouvrir.
Dans un premier temps, elle ne vit qu'une pièce vide. Les tapisseries anthracites des murs avaient été arrachés, des traces de griffures semblaient être présentes également, quoiqu'elles auraient plus rappelées des ongles battants. Des traces rouges sur le noir des murs apparents semblaient venir confirmer cette théorie.
Elle s'avança d'un pas hésitant. Puis deux. Ses yeux fouillaient nerveusement chaque recoin de la pièce, mais elle semblait vide.
Peur. Isolement. Débat. Folie. Sang. Elle se retourne et passe sa main sur la porte profondément creusée. Echappé. Elle panique.
Elle recula de plusieurs pas, et une fois sortie de la pièce, tourna son visage à droite puis à gauche, essayant de voir si elle pouvait trouver ce qu'elle cherchait aux alentours.
Son regard finit par rencontrer une autre porte ouverte. D'un pas rapide, le souffle désordonné, elle se déplaça jusque là et entra. Elle observa autour d'elle un instant. La pièce ressemblait à une chambre d'enfant, des jouets en bois traînaient au sol, parmi eux un balai petit modèle, et deux lits superposés ainsi qu'un normal étaient installés contre les murs. Le sol était couvert de moquette rouge. Elle s'avança dans la pièce, regarda autour d'elle. Elle s'immobilisa au centre de la pièce.

Il était cassé comme elle.
Alors elle avait décidé de l'aider.
Elle lui avait donné un bain. Elle lui avait chanté une berceuse. Pour l'aider à s'endormir. Elle aimait bien qu'on lui chante des berceuses quand elle allait au lit. Nathan avait une belle voix. Et comme ils dormaient les trois ensemble, il pouvait chanter pour Luke et elle avant qu'ils dorment. Et puis ils se réveillaient le lendemain matin.
Mais lui ne se réveillerait pas.
Il était cassé.
Il ne pouvait pas se réveiller.
Elle ne comprenait pas pourquoi, mais il ne pouvait pas.
Elle ne comprenait pas non plus le regard horrifié que ses frères lui avaient lancé quand ils l'avaient regardé faire sans réagir. Figés. Elle leur avait dit que ça irait bien pour lui. Qu'il serait heureux comme ça.
Elle ne comprenait pas pourquoi il ne bougeait plus.
Quand son père lui faisait ça, elle n'arrêtait pas de bouger.
« Il était cassé. C'est mieux pour lui comme ça. »
Parce que quand on était cassé, quand on n'avait pas sa place dans ce monde, c'était toujours mieux que rien.
Et le chiot infirme gisait au sol immobile.

« Un. Deux. Trois... »
La porte de la maison claqua violemment et elle sursauta dans le petit jardin à l'arrière de la maison. Des tas de terre devant elle, elle se redressa et chercha du regard ses frères. Ils étaient restés à l'intérieur. Elle se dirigea elle-même vers la porte fenêtre menant à l'intérieur et laissa dehors la pelle de jardinage, pleine de terre. Elle rejoignit ses frères qui se rassemblaient dans l'entrée pour accueillir leur père, se tenant droits, et le saluèrent d'une même voix, obséquieusement.
Il ne leur accorda pas un regard et se dirigea au salon une fois sa veste posée sur le porte-manteau de l'entrée. Il alla s'installer dans le salon sans dire un mot, sortit un journal qu'il déplia sur ses genoux avant de se pencher en avant pour prendre quelque chose... qui n'était pas là.
« River ! Où est mon verre ?! »
River se tendit, et se précipita vers la cuisine pour sortir un verre et attrapa une bouteille contenant un liquide à la couleur ambrée, plutôt sombre. Elle en versa dans le verre qu'elle apporta à son père. Ses frères se tenaient dans les escaliers en observateurs silencieux, attendant que leur sœur les rejoigne pour monter se réfugier dans leur chambre. Et puis si quelque chose tournait mal...

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