« Putain, Callahan ! Bouge ton cul, bordel de merde ! » Ah, la voix mélodieuse de Rachael Turner qui retentissait sur le terrain de Quidditch. « Mais t’as laissé tes couilles au vestiaire ou quoi ? C’est moi qui fait tout le boulot depuis tout à l’heure ! » Dans les gradins, les drapeaux rouge et or s’agitaient dans tous les sens. Gryffondor, comme toujours, menait le match, mais il y avait encore de l’espoir pour les Serdaigles : après tout, personne n’avait encore attrapé le Vif d’Or. « Je te jure que si tu laisses encore un seul cognard m’approcher je te fais bouffer ta batte, c’est compris ? » La poursuiveuse grinça des dents, avant de virer à droite. Quelle bande d’incapable et de bras cassés. C’était pas comme ça qu’ils allaient battre ces « intellectuels » de Serdaigle. Heureusement qu’elle, au moins, elle savait se débrouiller sur son balai.

Une heure plus tard, la porte des vestiaires s’ouvrit à la volée, laissant débouler la furie Turner. « MAIS VOUS VOUS FOUTEZ DE MA GUEULE HEIN ! » Si elle avait eu sa baguette à la main, elle aurait fait exploser l’endroit. Sans le moindre doute. « COMMENT ON A PU PERDRE ! » L’attrapeur des Serdaigle avait attrapé le Vif d’Or en manquant de tomber de son balai. Gryffondor avait perdu. À dix points près. « Vous êtes cons comme des balais ou quoi ! Ils avaient autant de chance de gagner que les Canon de Chudley ! »
Le reste des joueurs se contenta de grincer des dents, sans dire un mot. La dernière fois que l’un d’eux avait osé faire remarquer que ce n’était « qu’un match », il s’en était fallut de peu pour que Rachael ne le réduise en bouillie.

« Je vais prendre l’air. Et vous…. vous… réfléchissez à ce qu’il s’est passé aujourd’hui ! Parce que c’est INADMISSIBLE ! » La porte des vestiaires claqua, à nouveau, et le reste de l’équipe put enfin souffler.
« Quelle bande d’incapables… Je ferais mieux de jouer avec des elfes de maison… » Occupée à ruminer dans son coin, Rachael ne fit même pas attention lorsque son petit ami, Damian Flint, se glissa derrière elle. Le coup de coude qu’il reçut en plein nez le dissuada alors de jamais recommencer pareille folie. « Shit… Désolée… j’ai pas fait exprès… » Un léger sourire se dessina sur les lèvres du Serpentard. « Heureusement pour moi que j’suis pas un Serdaigle, hein… » plaisanta le jeune homme.
Lui aussi avait un jour commit l’erreur de lui dire que ce n’était « qu’un match contre Serdaigle, on s’en fout non ? », et ça avait manqué de marquer la fin de leur relation.

Rachael n’avait que faire des querelles entre Gryffondor et Serpentard. Elle les aimait bien, à vrai dire les Serpentards. Non. Son grand ennemi à elle, c’était la maison bronze et bleue, aux couleurs aussi froides que ses habitants. « Tu étais géniale, tu l’sais, ça ? » Rachael grimaça tandis que le jeune homme venait glisser ses mains sous sa robe de sorcière. « Je me suis pas douchée, tu l’sais ça ? » se plaignit-elle tout en tentant de se dégager de son étreinte.
Elle était bien trop en colère pour penser à ça pour le moment. Contre son équipe. Contre les Serdaigle. Contre elle même, surtout. « Allez… détend toi… » Les lèvres du jeune homme dans le creux de son cou ne lui firent aucun effet, si ce n’est que ces baisers l’agacèrent plus encore. « Je t’ai dit d’arrêter, merde, Damian, t’es CHIANT ! »
Rachael lui cassa le nez, cette fois-ci. Et elle écopa de quatre heures de colles, qu’elle passa à récurer les coupes de la Salle des Trophées.

***


« Mademoiselle Turner, après avoir eu le privilège d’avoir votre soeur et votre mère comme élèves dans cette classe, je ne comprends vraiment pas comment la pomme a pu tomber si loin de l’arbre ! » Le reste de la salle ricana, tandis que le visage de Rachael se durcit. Ça fait six ans que ça durait. Six ans qu’on lui rabâchait sans cesse ô combien sa soeur était géniale. Partout, les gens ne semblaient avoir que ça aux lèvres. Comment Astrid était une chanteuse si douée (le professeur de musique n’avait jamais pardonné à Rachael l’incident du crapaud), comment Astrid avait les meilleures notes dans toutes les matières, et pas uniquement dans celles qui « l’intéressait » (qu’est-ce que vous voulez que Rachael fasse d’un cours de Divination, sincèrement ?), comment Astrid était devenue préfète, puis préfète en chef, tandis que Rachael collectionnait les punitions et les heures de retenue. Astrid, Astrid, Astrid… Y’en avait marre d’Astrid !

« Hé, pourquoi t’es furax ? » Damian courut après sa petite amie. (Oui, il lui avait pardonné son nez brisé, après tout, il avait « dépassé les bornes pardon Rachael j’suis désolé… ») La blonde dont les pas résonnaient beaucoup trop fort dans les couloirs vides à cette heure-ci (heure à laquelle elle était supposée être en cours) ne s’arrêta pas pour autant. Ça faisait des heures qu’elle ruminait et qu’elle parcourait le chateau en long, en large et en travers ! « Parle moi… Qu’est-ce qu’il se passe ? » La mâchoire de la jeune femme lui faisait mal, tellement elle était crispée. Elle avait l’impression que ses dents allaient se souder. Elle avait aussi l’impression qu’elle allait vomir le contenu de son estomac pourtant vide. « Rach’… Qu’est-ce qu’il t’arrive ? » Sans un mot, et sans cesser de marcher, elle lui tendit la lettre qu’elle avait reçu ce matin, et qu’elle tenait depuis serrée dans sa main.
Tout en tentant de garder le rythme, Damian la parcouru d’un oeil rapide. Avant de finir par poser sa main sur l’épaule de Rachael, et de forcer la jeune femme à se retourner. Ses bras se refermèrent autour du corps tendu de sa petite amie, et il enfouit son visage dans la chevelure dorée qu’elle dissimulait toujours en queue de cheval. « Ça va aller… »
La lettre tomba sur le sol, tandis qu’il resserrait son étreinte autour de la jeune femme. L’encre, bleue, sur un carton bronze. Astrid Venus Turner et Mike Alexander Dundee ont la joie de vous inviter …

***


«  Tu vas leur dire … ? » Rachael resta immobile. «  Rach… » Parfaitement immobile. «  Hé… Est-ce que ça va ? » Elle était statufiée. «  Rach’, tu me fais peur là… Dis quelque chose, n’importe quoi… » tenta de plaisanter Damian. Mais Rachael ne dit pas un mot. Elle était sous le choc. Lentement, elle recula, pour sortir de la pièce où les résultats étaient affichés.
Elle avait échoué.
Son corps heurta celui de sa soeur, revenue d’Egypte exprès pour l’annonce des résultats. Voir si sa petite soeur avait réussi les tests d’aptitude et de personnalité de la formation réservée aux Aurors. Elle n’eut pas besoin d’aller plus loin, la douleur vive sur le visage de sa soeur lui apprit tout ce qu’elle avait besoin de savoir. « Oh… Rachael, je suis désolée… » Elle voulut la prendre dans ses bras, mais sa cadette se déroba en grognant comme un animal blessé, avant de s’enfuir en transplanant. Astrid passa une main nerveuse dans ses cheveux. «  Vous en faîtes pas. Elle s’en remettra. » La blonde sourit à Damian. « Si seulement je savais ce que j’ai fait pour qu’elle me haïsse à ce point … » Le jeune homme haussa les épaules. «  La liste est longue. »

Assise dans sa chambre, Rachael ruminait. Damian avait réussi. Il allait passer trois ans à se former, et il allait devenir Auror. Un excellent Auror. Qui bosserait avec sa soeur, partirait en mission, qui sauverait des gens et rencontrerai l’amour de sa vie sur le terrain. Et elle… elle, qu’est-ce qu’elle allait devenir, hein ? … Serveuse au Chaudron Baveur. Ouais. Ça semblait une carrière tout à fait acceptable, pour une élève qui avait obtenu ses ASPICS avec deux O en sortilège et potion, et trois E en défense contre les forces du mal, métamorphose et arithmancie.
… Qu’est-ce qu’elle allait bien pouvoir dire à ses parents, hein ? Qu’est-ce qu’elle allait pouvoir trouver comme excuse ? Comme justification ? … Son père devait déjà être au courant, après tout, en qualité d’Auror, il aurait certainement été vérifier par lui-même, ou bien quelqu’un lui aura dit. Et il avait certainement déjà transplané jusqu’à St Mangouste, où sa femme était médicomage, afin de lui annoncer que, forcément, la petite dernière avait échoué, quelle surprise. Elle avait dix-huit ans, et elle venait de rater sa vie.

***


Rachael pleurait. Ça faisait des années, qu’elle n’avait pas pleuré. Elle pleurait comme une enfant, épuisée, à bouts de nerfs, dans l’infirmerie. La jeune femme aux cheveux roses lui tapota maladroitement le bras. Elle savait ce que cette blessure à la jambe venait de coûter à la pauvre jeune femme assise sur le lit. Une place de tireur d’élite à la brigade de police magique. « Ne vous découragez pas… Vous pourrez toujours repasser les tests l’année prochaine … »
Les pleurs de la jeune femme redoublèrent. Sa tête lui pesait, fortement.
Damian s’était fiancé.
Astrid allait avoir un enfant.
Son père avait eu une promotion.
Sa mère allait publier un livre.
Elle était tombée.
Elle était tombée.